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Mon fils, mon sauveur (6/?)
Lois détestait les anniversaires. D’abord, quand elle était enfant, son anniversaire avait toujours été pour ses parents une formalité. Elle recevait un cadeau impersonnel, un baiser distrait, et le gâteau était commandé par sa mère et confectionné davantage pour des raisons esthétiques que pour lui plaire à elle. Alors, lorsqu’elle avait quitté la maison, elle avait renoncé à en faire toute une histoire. Maintenant, tous les anniversaires étaient douloureux, parce qu’ils lui rappelaient la fuite inexorable du temps, celui qu’elle avait d’abord perdu avec Clark parce qu’elle avait été trop stupide et obstinée pour le laisser la conquérir, et celui écoulé depuis ces 5 longues années de cauchemar, qu’elle aurait dû, et tellement voulu, passer avec lui.
Aujourd’hui, c’était le pire de tous : c’était l’anniversaire du jour où Lex l’avait enlevée. Il allait entrer dans un instant, pour se réjouir avec elle, et elle ferait bonne figure, comme toujours. Car bien qu’elle détestât chaque instant de sa captivité, il avait eu raison, voilà 5 ans, lorsqu’il lui avait garanti qu’elle ne tenterait pas de s’échapper. Son assurance était imparable. Jamais elle ne risquerait la vie de son fils.
Et c’était grâce à lui et pour lui, son bonheur, son miracle, qu’elle avait tenu jusqu’ici. Aujourd’hui, le petit Jonathan avait 4 ans et demi. Il était aussi brun que son père, et lui ressemblait beaucoup, sur tous les plans. C’était un enfant très sage et très sérieux, qui savait aussi être drôle et tendre. En fait, à chaque fois qu’elle posait les yeux sur lui, Lois sentait à la fois son cœur fondre de bonheur et se contracter douloureusement de chagrin.
Lex avait tenu ses promesses : il ne l’avait pas touchée physiquement, et il s’était occupé de son fils comme si c’était le sien. Il était venu le voir quelques heures après sa naissance, et s’était ouvertement réjoui de son sexe. Il avait confirmé à Lois qu’il souhaitait faire de lui son digne héritier et qu’il allait l’élever en ce sens. Chaque cellule du corps de Lois s’était révoltée à cette perspective, et Lex ne s’était pas mépris en lisant dans le regard sombre que la jeune femme dardait sur lui toute la haine et la rancœur qu’elle éprouvait à son encontre. Mais Lex lui avait alors rappelé que pour le bébé, c’était ça, ou une mort assurée et douloureuse. Lois n’avait pas douté un instant qu’il fût capable de mettre sa menace à exécution, et elle se l’était tenu pour dit. Et curieusement, comme l’homme plein de contradiction qu’elle avait cru aimé des années auparavant, il s’était montré sous son meilleur jour avec le bambin.
Voir que son fils s’attachait à Lex évoquait chez Lois des sentiments très confus. Une grande part d’elle-même se révoltait, car elle était consciente que Lex, même s’il semblait réellement l’aimer, souhaitait surtout élever un futur Superman auquel il inculquerait ses valeurs. Mais par ailleurs, l’espoir de retrouver sa vie passée était mince, et elle se rendait bien compte que cet attachement était la meilleure garantie de sécurité pour son enfant.
Aussi avait-elle gardé ses sentiments de haine autant que possible pour elle, et elle avait laissé Lex participer à son éducation. Et pour tenter de compenser son influence, sans éveiller les soupçons, elle avait passé elle aussi de longues heures à nourrir et bercer le bébé, puis, les mois et les années passant, à jouer avec lui.
Jonathan avait environ six mois lorsqu’elle avait pris conscience d’un fait extraordinaire. Elle avait pris l’habitude, en le nourrissant, de lui parler de son père, non pas à haute voix, car elle avait peur d’être surveillée, mais dans son esprit. Il lui semblait que l’intimité de ce geste ne pouvait et ne devait être partagée que par un seul être au monde, et elle avait décidé de le lui consacrer entièrement. Des heures durant, jour après jour, et nuit après nuit, elle avait donc raconté à Jonathan son père, sa force et sa bonté, l’amour qu’il avait pour elle et qu’il aurait eu pour lui, et toutes les anecdotes drôles ou graves qui lui revenaient à l’esprit au cours de ces pèlerinages de mémoire. Et le bébé semblait l’écouter et réagir instinctivement aux émotions de sa mère. Mais ce jour-là, Lois avait eu la distincte impression que son bébé lui répondait. Elle s’était soudain sentie envahie par un étrange sentiment de bien-être et d’amour, tandis que le petit bonhomme, la main posée sur son sein, l’avait fixée intensément du regard. Et les jours suivants, l’expérience s’était renouvelée encore et encore. Au fils des mois, à mesure que le bébé grandissait et apprenait à parler, ce lien qui unissait la mère et l’enfant s’était confirmé et renforcé. Jonathan avait hérité des dons télépathiques de son père, et il pouvait communiquer de cette façon avec sa mère.
Lois était profondément reconnaissante de ce miracle qui lui avait permis au fil des mois de faire comprendre à Jonathan que Lex n’était pas son père, et de le préserver ainsi autant que possible de son influence, à son insu. Mais depuis quelques semaines, l’inquiétude la rongeait, car Lex voulait passer de plus en plus de temps avec l’enfant, estimant qu’en grandissant, il avait moins besoin de sa mère. C’est alors qu’un plan avait commencé à prendre forme dans l’esprit de Lois. Jonathan, en digne fils de Superman et de Lois Lane, était extrêmement précoce, et bien qu’il n’eût que 4 ans et demi, il savait déjà bien lire et écrire. Par ailleurs, totalement inconscient des échanges télépathiques entre la mère et l’enfant, et donc persuadé d’une part que Lois s’était depuis longtemps résignée à sa nouvelle vie et que Jonathan ne se connaissait pas d’autre père que lui, Lex avait beaucoup assoupli la surveillance qu’il exerçait sur eux. Enfin, Jonathan avait révélé à cette occasion qu’il tenait plus de sa mère qu’on aurait pu le croire jusqu’ici, car c’est avec enthousiasme qu’il avait accepté de jouer un rôle de premier plan dans l’aventure, fût-elle dangereuse…
C’est donc avec le cœur un peu moins lourd que les années précédentes que Lois se prépara ce matin-là à fêter avec Lex les cinq ans de ce qu’il appelait leurs « retrouvailles ». Elle allait enfin agir, et même si les chances de succès étaient minces, au moins, elle aurait tenté quelque chose, et cela suffisait pour le moment à éclairer sa journée. Son plan serait mis à exécution ce soir-là. Elle en avait longuement parlé avec Jonathan, sous couvert de différents jeux, et il savait ce qu’il aurait à faire.
Pour le moment, le petit garçon jouait dans sa chambre. Elle se mit en contact avec lui.
- Jonathan ?
- Oui, maman ?
- Tout va bien ? Tu n’as pas oublié ?
- Non, maman. Je sais ce que je dois faire. D’abord j’oublie mon doudou dans le bureau de père quand j’irai travailler avec lui. Ensuite je demande à Mademoiselle la permission d’aller le chercher pendant que tu dîneras avec lui. Là, j’allume l’ordinateur et j’envoie un mail comme tu m’as montré, et j’efface tout.
- C’est parfait, mon chéri.
Bien sûr, Lois savait que c’était un peu risqué. On ne peut jamais complètement effacer ce qui a été fait sur un ordinateur. Et puis, Jonathan était petit. Il pouvait se tromper. Mais elle n’avait pas le choix : lui seul pouvait accéder au bureau de Lex par empreinte vocale. Elle savait que Lex lui avait montré comment se servir d’un ordinateur, mais elle n’avait pu expliquer toutes les démarches à l’enfant que par télépathie. Il lui fallait donc compter sur le fait que Lex n’avait aucune raison de soupçonner quoi que ce soit, et donc ne vérifierait pas de si près les courriers émis par son ordinateur si les traces les plus évidentes avaient été effacées, et d’autre part sur les dons intellectuels exceptionnels de son fils. Comme si ce dernier l’avait entendue, ce qui était sans doute le cas, car elle avait du mal à bloquer ses pensées lorsqu’elle était nerveuse, Jonathan l’interrompit :
- Rassure-toi, maman, je sais vraiment ce que je dois faire ! Je vais appeler papa au secours et il va venir nous sauver !
Le petit garçon s’approcha d’elle et, de sa petite main, caressa la joue de sa maman d’un geste si tendre et si proche du geste par lequel son père s’était révélé à elle bien longtemps auparavant qu’elle sentit ses yeux s’emplir de larmes.
- Je te promets que bientôt, tu ne pleureras plus jamais, maman, lui murmura l’enfant dans un souffle.
TBC